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Enseignants français : la recherche de la reconnaissance perdue

L’enquête TALIS 2024 de l’OCDE, qui donne la parole à des dizaines de milliers d’enseignants dans le monde, met en lumière une fracture profonde dans le système éducatif français. Non pas un effondrement brutal du moral ou une explosion du stress, mais un décrochage silencieux : celui de la reconnaissance sociale.

Les enseignants français continuent majoritairement d’aimer leur métier. Mais ils ont de plus en plus le sentiment que la société, les élèves et les décideurs publics ne les reconnaissent pas à la hauteur de leur engagement. Un signal négatif supplémentaire qui doit alerter sur l’état de l’école en France et amener, je l’appelle de mes vœux, à en faire la priorité du gouvernement qui sera aux affaires à l’issue de la prochaine élection présidentielle.

Qu’est-ce que l’étude TALIS ? 

L’enquête TALIS (Teaching and Learning International Survey) est menée tous les cinq ans par l’OCDE dans plus de 55 pays. Elle repose sur un questionnaire standardisé administré à des échantillons représentatifs d’enseignants et de chefs d’établissement — environ 3 400 enseignants en France en 2024. Elle mesure leur ressenti professionnel : conditions de travail, pratiques pédagogiques, formation, reconnaissance sociale et bien-être. TALIS permet ainsi de comparer la perception des enseignants entre pays, tout en soulignant que les résultats reflètent des perceptions subjectives et doivent être interprétés dans le contexte propre à chaque système éducatif.

Un attachement au métier qui résiste

En matière de considération des enseignants pour leur métier, les statistiques bien qu’inférieures à la moyenne de l’OCDE (89 %) ne sont pas mauvaises puisque 80 % des enseignants en France déclarent être globalement satisfaits de leur profession. 

Une autre donnée encourageante : chez les moins de 30 ans, seuls 14 % envisagent de quitter la profession dans les cinq années à venir, contre 20 % en moyenne OCDE. Au moment de l’enquête, il n’est donc pas question de grande démission. Mais ces chiffres ne concernent que les enseignants en poste et donc pas ceux qui se sont détournés de la profession, phénomène d’ampleur vu la baisse significative des candidatures dans le secondaire (cf. par exemple cet article paru dans Le Monde).

Pourtant, derrière cette résilience se cache une fissure symbolique : les enseignants ont le sentiment de tenir seuls la corde (cf. infra) et ne bénéficient plus de la rémunération au prestige (qui a longtemps compensé en France une moindre rémunération financière comparativement au salaire national moyen).

Une reconnaissance sociale en berne

Seuls 4 % des enseignants français estiment que leur métier est valorisé dans la société, contre 22 % en moyenne dans l’OCDE.

C’est l’un des taux les plus bas parmi les pays étudiés. À cela s’ajoute un sentiment d’invisibilité politique : seuls 4 % ont le sentiment que leur voix compte dans les décisions publiques en matière d’éducation, contre 16 % au niveau international.

Ce écart entre engagement individuel et reconnaissance collective traduit une crise silencieuse du statut de l’enseignant en France. Le métier continue de porter une mission centrale — instruire, former, accompagner — mais cette mission ne semble plus bénéficier de la reconnaissance qui, ailleurs, constitue un ressort essentiel de la motivation.

Élèves, parents, direction : une reconnaissance en retrait

Les pourcentages sont donnés pour la France avec la base OCDE en comparaison entre parenthèses : 

  • 55 % (vs 71 %) des enseignants se sentent valorisés par leurs élèves 
  • 45 % (vs 65 %) ont ce sentiment vis-à-vis des parents 
  • Moins de 80 % (vs 86 %) estiment entretenir une relation professionnelle de qualité avec leur direction.

Globalement l’étude met en évidence que, dans la classe comme en dehors, beaucoup d’enseignants ont le sentiment d’être seuls à porter la mission éducative, sans le soutien ou la reconnaissance qu’ils estiment légitime.

Pressions fortes, reconnaissance faible : un équilibre instable

Les enseignants français identifient comme principales sources de stress la multiplication des exigences administratives (62 %), la charge de travail non pédagogique (58 %) et la gestion de la diversité des élèves (49 %).

Il est à noter que le taux de stress global n’est pas supérieur à la moyenne OCDE. Ce qui pèse n’est pas tant la surcharge de travail que le déséquilibre entre ce qui est demandé et ce qui est reconnu.

Quand on demande beaucoup à une profession tout en la valorisant peu, on ne crée pas du désengagement immédiat : on épuise silencieusement la motivation intrinsèque. Et ce processus est d’autant plus dangereux qu’il ne se voit pas tout de suite dans les chiffres de départs. D’autant plus en France, où les enseignants du secondaire bénéficient d’un statut (fonctionnaire) qui, plus qu’ailleurs dans  les autres pays de l’OCDE, constitue un frein majeur à la démission effective.

Un décrochage que l’on ne peut ignorer

Dans beaucoup de pays de l’OCDE, l’enseignant reste une figure valorisée — même si la profession n’est pas exempte de difficultés. En France, la situation est différente : le métier n’a pas perdu son sens pour ceux qui l’exercent, mais il semble avoir perdu de sa valeur aux yeux du collectif. Ce constat au moment où le niveau des élèves français chute, même des meilleurs qui ont longtemps été l’arbre qui cachait la forêt. Et cette perte de niveau n’est même pas, comme certains l’ont longtemps soutenu, le prix à payer pour réduire les inégalités : l’école n’est plus l’ascenseur social de la méritocratie. Le coût financier n’arrange pas l’état des lieux mais dépasse l’objet de cet article.

La dissonance que rapporte l’étude TALIS porte un risque de démobilisation des enseignants actuels et de désaffection pour les potentiels candidats que la France ne peut se permettre de courir. Restaurer la reconnaissance sociale des enseignants ne doit plus relever du seul clientélisme politique et doit être une priorité à traiter pour concourir à redresser de notre système éducatif national.

Sources principales :

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